« Le symptôme peut représenter la vérité du couple familial », « Le symptôme de l’enfant se trouve en place de répondre à ce qu’il y a de symptomatique dans la structure familiale. » Il représente ce qui n’est pas là, il permet que quelque chose de la structure familiale qui ne peut se dire, s’inscrive néanmoins. Le symptôme est dans ce cas le reflet de l’articulation du désir de la mère, au signifiant du Nom-du-Père.
On trouvera ici tous les cas où la fonction du père, pour de multiples raisons, est déficiente18, où l’égalité des sexes a été entendue comme absence de différences (l’égalité sociale et politique n’est pas isomorphe à la fonction de père et de mère), où la femme devenue mère a déplacé la jouissance du corps de l’homme sur le corps de l’enfant.
Parfois les deux (-symptôme vérité du couple familial- l'enfant réalise la présence de l'objet a dans le fantasme-) vont se croiser et se retrouver, par exemple dans des demandes de couple19. Pour les couples que j'ai reçus ensemble, l'enjeu était : d’avoir un témoin de leurs désaccords ; de s’assurer des risques que représenteraient toutes questions, prises de position ; de garantir un soutien mutuel, afin de protéger l'un ou l'autre des parents, sans qu'il soit toujours possible de déceler avec lequel des deux un travail serait fructueux ; de protéger un secret déjà bien gardé.
Il est parfois flagrant que la façon dont est évitée une question, écartée une hypothèse, détournée une conversation, a pour but de faire en sorte qu’un sujet ne soit pas abordé, que soit préservé un secret.
Que soit reçu un des parents ou les deux, il n’est ici pas question de conseils, bien qu’ils soient demandés ; mais plutôt de favoriser l’analyse de ce que le père ou la mère dit des difficultés qu'il rencontre. C’est à partir de l’adresse à un tiers20, de l'attention qu'ils pourront porter à leurs dires, aux questions qui leurs sont posées, qu'ils en viendront à déterminer une position juste dans leurs rapports avec leur enfant.
L’objectif de ces consultations est de permettre aux parents de faire face, avec moins de souffrance et plus de discernement, aux difficultés éducatives qu’ils rencontrent.
Ce qui est en jeu relève de la transmission d’une génération à l’autre ; transmission qui, du côté du « consommateur » en proie à la douleur d'exister, n’a pas laissé d'espace pour que la jouissance condescende au Désir.
La situation la plus fréquente est celle d’un parent, qui ne voulant en aucun cas faire subir à son enfant ce que lui-même a subi, prend la position inverse. S’il a vécu de fortes privations, il veillera à ce que ses enfants ne manquent de rien.
S’il a eu des parents laxistes, il voudra se tenir à une éducation autoritaire. S’il y a eu intransigeance, alors, il laissera un maximum de liberté. Ici encore, un vécu « traumatique » qui n’a fait l’objet d’aucune élaboration rejaillit sur le présent.
Ce n’est pas tant l’excès ou l’inversion qui sont problématiques, mais le fait que la transmission d’une génération à l’autre ne met ici l’accent que sur l’éthique du devoir, ou du bien-être (régie par le principe de plaisir, et sous laquelle se range toute consommation modérée).
La loi du bien-être, l’éthique des biens, se retrouvent dans les énoncés suivants :
- je suis celui ou celle qui veut ton bien,
- je suis celui ou celle qui peut ton bien,
- je suis celui ou celle qui sait ton bien.
Ce « vouloir le bien » a le caractère captieux de l’altruisme, qui se satisfait de préserver le bien de celui qui précisément nous est nécessaire.
J’ai évoqué plus haut les premières consultations, la découverte accidentelle d’un produit.
Mais cette découverte est avant tout celle de l’horreur de la jouissance de l’autre. Il peut en effet arriver que la jouissance de l’autre n’implique pas mon bien et mon bonheur, mais mon malheur.
Cette horreur de la jouissance de l’autre se traduira par un « Je ne le reconnais pas », « Je ne le comprends plus », « pourtant je l’ai élevé comme les autres ».
L’impossibilité de s’identifier a fait se dissoudre la frontière entre semblable et dissemblable. Lorsque les parents veulent à tout prix le bien de leurs enfants, les dérives, les fuites, les évasions sont nombreuses. La consommation de cannabis n’est qu’une possibilité parmi d’autres.
Écouter l’un des parent, c’est permettre un Bien dire qui va instaurer un manque, là ou rien ne semblait pouvoir manquer.
Il en va de même pour l’éthique du devoir, indispensable dans une perspective éducative, mais qui voisine avec l’impératif catégorique !
Freud, à bon escient rapproche « l’impératif catégorique » de Kant du Surmoi. Le Surmoi, héritier du complexe d’Oedipe, est cette voix intérieure expression du devoir. La voix du Surmoi, d’une férocité insatiable, est d’autant plus exigeante que l’on y obéit ; d’une exigence que semble-t-il on ne peut soulager qu’en devenant à son tour le représentant du Surmoi pour la génération suivante21.
Écouter l’un des parents, c’est faciliter un Bien dire où la loi, loin d’ignorer la jouissance ou de s’y opposer, en est l’appui. Un Bien dire permet d’approcher cette étrangeté en nous-même. Tout comme le travail de l’artiste, il crée, il instaure un vide, il cerne un bord de non savoir sur ce que la jouissance peut impliquer de bien ou de mal.
Si l’une et l’autre de ces lois, bien-être et devoir, ont leur valeur, leur importance, elles ne suffisent pas et font l’impasse sur le Désir. Une loi du désir qui pourrait s’énoncer ainsi : « Tu quitteras ton père et ta mère pour pouvoir faire alliance avec un homme ou une femme venant d’ailleurs 22». Mais il n’y a pas d’alliance possible sans rupture. Même si cela paraît surprenant, une transmission aboutie est celle de parents qui donnent à leur enfant le pouvoir effectif de les quitter à jamais23. L'amour des parents dynamise, parce qu'il faut lui échapper, passer de l'endogamie à l'exogamie.
Une telle loi prend appui sur la conjugalité, dont la condition primordiale, tient à la place du père ; elle doit être marquée par le désir de la mère en tant que femme. La mère en tant que femme y tient autant de place que le père en tant qu’homme. Une éthique du désir ne peut être soutenu par un homme, que dans la mesure où sa femme accepte le risque d’en être l’objet et l’enjeu. Ces places nécessitent un rapport clair à la différence des sexes et des générations, et donc l’acceptation de ce «qu’il n’y a pas de rapport sexuel ».
Le Bien dire ici inscrira le rapport sexuel comme un ensemble vide24. Faut-il rappeler que l’adolescence touche au réel du corps, à l’image que l’adolescent a de lui-même, des autres, de sa place dans la société. Avec la puberté, le jeune perd les assises imaginaires de la différence des générations. Il acquiert les attributs du parent du même sexe. Il y a un basculement dans l’ordre des différences, la différence des sexes prime sur la différence d’âge.
Du même coup, il va devoir se situer en fonction de son identité sexuelle.
L’adolescence est le moment où, rencontrant la sexualité non plus comme propre à l’adulte différent mais comme ce qui organise sa nouvelle place, le sujet doit répondre avec les moyens qui sont les siens.
Il est particulièrement important que cette différence des générations ne soit pas gommée, comme y invite trop souvent un certain « jeunisme », ou des relations duelles parent-enfant non prises dans une triangulation sous prétexte par exemple, de divorce.
Celui qui écoute se doit de se référer à ces trois Lois et de ne jamais perdre de vue que sa fonction est avant tout de permettre que soient rétablies « les lois de la parole »25, chemin d’une éthique du désir.
Les entretiens avec les parents, de jeunes fumeurs de cannabis.
1. Quand ont lieu les premières consultations?
2. L'enfant réalise la présence de l'objet a dans le fantasme