1. Quand ont lieu les premières consultations?

ont lieu, soit à la découverte accidentelle de cannabis, soit à l'apparition des premiers signes d’une rupture, familiale, scolaire, sociale, imputée au cannabis. Le charme est rompu. Leur enfant leur échappe, déchire une image, ouvre une brèche à la souffrance.

Dans la souffrance, ce qui nous arrive va toujours à l’encontre de ce que nous avions imaginé, la rencontre avec les autres, le monde, ne se réalise pas comme nous l’avions projeté. La souffrance nous sépare de nous-même, nous divise ; division qui d’emblée fait planer l’ombre de la mort. La projection, sur les autres, ici du risque, est le moyen de nous mettre à l’abri, d’éviter d’avoir à tenir compte des effets de cette division, qui pourtant conditionne notre humanité.

L’interpellation vient ici d’un fils, d’une fille, elle déloge le parent le plus fragile de l’image qu’il a de lui-même.

 

Elle amène une altération de l’image de soi, prise dans la culpabilité de ne pas avoir vu, de ne pas avoir su éviter « ce qu’il y a de pire pour un parent », la toxicomanie3. L’image déchirée nous révèle autre que ce que nous imaginions être. L'apostrophe porte atteinte à la représentation, révèle l’illusion, la mystification. Le mensonge ici consiste, eu égard au devenir des enfants, à vouloir prendre l’image pour le corps, l’illusion dérivée du désir pour le désir4.

Dans les situations de consommation bien établie, l’agressivité, la violence provoquent parfois une peur panique chez les parents, peur pour eux, pour leurs autres enfants. La violence témoigne ici certainement de la place « d’objet a5 » qu’a - ou qu’a eu- leur enfant. L’amour a jeté sur lui son dévolu. l’objet a a suivi le parcours qui est le sien de la brillance phallique à sa condition de déchet. Les parents reçoivent ici leur discours inversé. Pour J. Lacan "ce que nous donnons dans l'amour, c'est essentiellement ce que nous n'avons pas ; et quand ce que nous n'avons pas nous revient, il y a régression assurément"6
Lors des premières consultations, le tableau dressé par le ou les parents, présente le fils ou la fille, mais en « perspective dépravée »7.

 

L’anamorphose ici dévoile quelque chose de l’histoire, de la division du sujet. Elle présente sous forme de tache ce qui ne peut être vu, fut-ce sur fond d’angoisse. Les parents souvent, tels les ambassadeurs du tableau d’Holbein8, trônent entourés des valeurs qui leur servent d’assises imaginaires. Fascinés par la perspective de l’accident, ils refusent de voir la mort qui doit avoir une place dans le tableau.
Écouter les parents sera ici s’appliquer à ce qu’il lui en soit donné la possibilité9. L’adolescent a besoin de sentir près de lui des adultes attentifs, mais non intrusifs.

 

Il semble dire : « comprenez-moi, mais ne me demandez rien. »
La situation impose un minimum de réponse pour faire baisser l’angoisse, réaction au risque d’une éventuelle perte de l’être aimé ou de son amour, et ce sans « culpabiliser » les parents : ils se chargent eux-même de cette variante de l’angoisse ; réaction au désamour qui pourrait survenir, en guise de châtiment d’une faute réelle ou imaginaire ; qu’en est-il de l’éducation qu’ils ont donnée à leur enfant ?

 


La plainte exprimée, la souffrance entendue, quelques indications parfois suffisent. Les parents, de s’entendre parler, à un tiers neutre, ici indispensable10, peuvent très rapidement réaliser ce qui « cloche » dans leur position et la rectifier. Cette écoute visera, entre autres, à favoriser les conditions qui vont permettre aux parents de s’autoriser à mettre des limites.

 

Bon nombre de parent que j’ai reçus m’ont donné l’impression de ne pas pouvoir s’autoriser à tenir vis-à-vis de leur adolescent une place de sujet, avec toutes les difficultés que cela comporte de ne pas céder. Ils confondent fermeté au nom de la loi avec autoritarisme pour leur jouissance (La première structure, la deuxième amène l’incompréhension, le chaos). Ils oublient la valeur structurante de la castration, de l’opposition, du conflit, voire du manque ; confondant risque, « principe de précaution » et interdit structurant11, tout particulièrement s’il est question de « drogue ».

 

La crainte du monde extérieur, de la dérive, est telle qu’il faut en protéger leur enfant à tout prix.
Mais l’expérience montre que si des parents manifestent une difficulté à laisser un enfant « vivre sa vie », faire des expériences, trouver ses solutions12, sous prétexte de risques encourus, d’une faiblesse supposée, il faut se demander si cela ne renvoie pas à une difficulté qu’ils ont eux-mêmes rencontrée. Difficulté qui a pour effet de ne pas permettre aux parents de saisir ce qui est en jeu pour leur enfant à ce moment là, et les met dans l’impossibilité de trouver une réponse appropriée aux questions déroutantes, perturbantes, de l’adolescent13.
Si on les invite à parler, très vite se font jour d’autres questions : comment se fait-il qu’ils supportent cette situation ? Qu’est-ce qui est en jeu pour eux dans ce laisser faire ? Ou, pourquoi cette difficulté à laisser cet adolescent(e) vivre sa vie, prendre des risques, mettre à l’épreuve l’éducation qu’il a reçue ? Ces questions déployées, il est parfois possible d’en rester là.

 

Mais en prenant garde : le comportement de leur enfant est peut-être entré en résonance avec une blessure ancienne. Beaucoup plus souvent que l’on ne croit, les craintes, le désarroi des parents ont une « origine » autre que le comportement de leur enfant ; celui-ci ne fait que réveiller une blessure passée. Blessure non sans rapport avec ce qui n’a pu s’écrire d’un impossible de structure, liée aux limites et  modalité du nouage, Réel, Symbolique et Imaginaire.
 Les plaies sont diverses, liées à une découverte de la sexualité plus ou moins traumatique, à la mort d’un proche, à une rupture14.

 

N’importe quel événement réel ou fantasmatique, vécu comme traumatique par l’un des parents, offrira un appui imaginaire aux risques dont il faut protéger son enfant. Une de ces blessures est l’adolescence elle même : à l’adolescence de leurs enfants, les parents sont nécessairement confrontés au souvenir de leur propre adolescence.

 

Confrontation difficile, car bien souvent ils se seront empressés d’oublier cette période qui cadre mal avec ce qu’ils sont devenus.

Refoulement qui ne s’est pas fait sans laisser des traces et qui parfois obture : « qu’il n'est de vie qu'au prix du meurtre de l’image première, étrange, dans laquelle s'inscrit la naissance de chacun, qui de génération en génération témoigne des rêves et des désirs des parents 15"
Dans « Deux notes sur l’enfant 16», J. Lacan propose deux cas de figure eu égard au symptôme que présente un enfant17  qui peuvent utilement servir de repère pour l'écoute.

 

Les entretiens avec les parents, de jeunes fumeurs de cannabis

2. L'enfant réalise la présence de l'objet a dans le fantasme

3. Le symptôme représente la vérité du couple familial

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